Ethique

Par Brigitte Purkhardt, critique de théâtre, Montréal, Québec.




« Roger Lombardot appartient à cette génération que certains idéaux de la contestation soixante-huitarde ont marquée à tout jamais, en particulier la consécration de la vie perçue comme l’ultime richesse que se partagent, dans la justice et la joie, des êtres épris de liberté, de lucidité, d’espoir, de créativité, de beauté, de solidarité…

Toute sa production dramatique a d’ailleurs défendu de pareilles valeurs, propres à ceux qui pensent que « l’art exprime l’instinct spirituel de l’humanité »… Il nous raconte comment, durant un de ses périples en Bosnie, il a pu observer des militaires, agrippés à leur fusil, baisser peu à peu leur arme, subjugués par un violoniste jouant Bach. Et comment, dans un champ de pommes de terre en Roumanie, à la chute de Ceausescu, le chant d’une soprano, soutenu par une mélodie jouée au piano, a ému les paysans jusqu’aux larmes…
Aspiré par la grande tragédie du monde, une préoccupation constante à l’égard de l’humain oriente et alimente la création dramatique de Roger Lombardot. Elle guide sa pratique spectaculaire et imprègne son écriture. Il est de ceux qui inventent leur propre langue et explorent de nouveaux modes de transmission. Deux virtuosités esthétiques qu’il exerce autant en vase clos que hors les murs, autant dans sa peau d’artiste que d’homme…
Si l’on aborde maintenant le répertoire dramatique de Roger Lombardot d’un point de vue thématique, son amour de l’humanité s’impose d’emblée ; de même que sa foi en l’homme qu’il croit perfectible malgré ses errances, malgré ses lâchetés, malgré ses cruautés. Car il ne s’agit pas d’un amour aveugle qui gomme les tares de l’humain. Une lucidité sans complaisance traverse au contraire l’œuvre, et la barbarie y est dénoncée sans la moindre trace d’angélisme. La révolte devant le mal et le crime s’affirme avec force, et rien ne pourra jamais l’effacer. Nombre d’auteurs ont été marqués par le mal et l’absurde qui règnent dans le monde. La première réaction devant ce constat, c’est le désespoir que chacun canalise ensuite à sa façon. Par le cynisme, l’humour noir, le déni, la projection, la surenchère. Roger Lombardot, pour sa part, avoue avoir déjà été bouleversé par l’infâme réalité, au point d’avoir porté en lui, pendant des années, les souffrances dont il avait été témoin, dégoûté de l’espèce humaine.

Mais plutôt que d’enterrer sa révolte sous le dégoût ou le désespoir, il a choisi de la porter comme une clameur et de répondre à la folie des hommes par la beauté. Pourquoi ne pas combattre les vexations de la condition humaine en lui opposant les bribes de joie de vivre qui jalonnent une existence ? »

Extrait de Roger Lombardot, artiste du monde et chantre de l'humain (Cahiers de théâtre JEU, n°115, Montréal, Québec, Canada)